La deuxième thèse est que l’homme étant corps et esprit, le beau peut donc être associé autant à l’un qu’à l’autre. C’est pourquoi, le grotesque mêle le matériel au spirituel, le risible au sérieux, voire au tragique. Hugo prône le mélange des genres. La troisième thèse est que le comique du corps grotesque n’est pas purement abstrait : il est le comique des peuples qui souffrent de la violence des puissants. Aussi, le rire hugolien, en rabaissant le haut et en élevant le bas, a-t-il deux facettes : l’une suscitant dérision et moquerie, l’autre émotion et empathie.
La quatrième thèse est qu’il faut non seulement rapprocher le haut et le bas, mais qu’il faut surtout tirer le bas vers le haut, en extrayant le sublime du grotesque. Selon Hugo, c’est le drame qui va permettre de mettre en exergue la sublimité du grotesque. Mais, en fait, la présence du grotesque est l’une des manifestations du rire dans toute son œuvre.
Le grotesque hugolien prend deux grandes formes. La première est la forme fantaisiste, gaie, satirique, voire polémique du grotesque ; c’est un avatar du burlesque ; elle est incarnée par des personnages comiques et bouffons. Ceux-ci sont des bavards impénitents, émaillant leurs propos d’un fatras de références érudites. La seconde forme est un grotesque où la note comique est presque totalement évacuée ; elle produit le rire romantique qui se rattache au roman noir (Voir Le Saviez-vous N°2). Elle est incarnée par des personnages difformes et sataniques. C’est, nous le verrons plus loin, celui des plus grands personnages hugoliens. En fait, chez Hugo, le rire est un Janus à deux visages. Il est quelquefois le rire de la lumière (celui de l’ange), le rire heureux de l’enfance, le rire positif que l’on rencontre dans sa poésie et lors des moments de liesses populaires dans ses romans. Ce rire exprime l’énergie primitive du peuple. Mais, il est surtout le rire des ténèbres (celui du diable), le rire noir et tragique, le rire négatif qui se manifeste par des rictus et des ricanements et que l’on rencontre dans la plus grande partie de son œuvre. Ainsi, chez Hugo, le rire est-il ambigu et ambivalent, mais globalement négatif.
D’autre part, les manifestations du rire dans l’œuvre hugolienne ne relèvent pas uniquement du grotesque des personnages. Le rire peut être produit par l’humour noir des personnages, mais surtout par l’ironie d’un narrateur omniscient, qui envahit de plus en plus les derniers romans. Pour mieux appréhender cette évolution, rappelons que l’œuvre romanesque hugolienne est divisée en trois périodes correspondant à trois périodes de sa vie : les romans écrits lorsque, jeune homme, il commençait à faire parler de lui (Bug-Jargal, Han d’Islande, Le dernier Jour d’un condamné, Notre-Dame-de-Paris et Claude Gueux) ; le grand roman écrit alors qu’il était devenu académicien (Les Misérables) et les romans écrits pendant son exil (Les Travailleurs de la mer, L’Homme qui rit et Quatre-vingt-treize). A chaque époque correspond différents types de personnages et différents types de rire, marquant en cela une évolution chez Hugo.
Fort de ce constat, nous allons étudier les différentes manifestations du rire dans notre corpus. Mais, ce qui nous semblera risible pourra aussi sembler émouvant ou même tragique, puisque l’originalité de l’esthétique hugolienne repose sur le flottement entre le grotesque et le sublime.
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