Stress, souffrance au travail, conflits… Dans les trois versants de la Fonction publique comme ailleurs, divers études et baromètres montrent une dégradation de la santé mentale notamment au travail, accentuée depuis la crise du Covid-19.
Psychologue du travail et responsable du service Conseil en organisation et santé au travail au centre de gestion du Haut-Rhin (CDG68), Jennifer Bindler est chargée d’aider les collectivités à réduire l’existence ou l’apparition des risques psychosociaux ou RPS (stress au travail, sentiment de mal-être ou de souffrance au travail, incivilités, agressions physiques ou verbales, violences, etc.), et ainsi éviter leurs conséquences négatives sur les agents, l’organisation, et in fine sur la qualité du service public. Dans cet entretien, elle revient sur la notion de RPS et les bases de la prévention.
Comment définissez-vous les risques psychosociaux ?
La définition des risques psychosociaux qui fait référence est celle du rapport Gollac : ce sont tous les risques pour la santé mentale, physique et sociale, qui sont engendrés par des conditions d’emploi, des facteurs organisationnels et relationnels qui sont susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental.
Quand on parle de prévention des risques psychosociaux, l’objectif est d’aller chercher ces facteurs de risque et d’identifier les ressources que l’on a pour en réduire l’impact… Et ainsi préserver la santé au sens de l’Organisation mondiale de la santé, c’est-à-dire préserver un état complet de bien-être physique, mental et social, (et pas juste une absence de maladie) qui permet à la personne de se réaliser, de pouvoir s’adapter aux exigences de la vie, de pouvoir travailler de manière efficace et productive, de pouvoir apporter une contribution à sa communauté.
Quand les risques psychosociaux ne sont pas pris en compte, quels types de conséquences peut-on observer ?
Au niveau de l’individu, on peut observer l’apparition de troubles physiques : musculo-squelettiques, digestifs, sensations d’étouffement, troubles du sommeil… Ce sont aussi des troubles cognitifs, de l’attention, de la mémoire, de prise de décision, des troubles émotionnels ou comportementaux, un épuisement général. Concrètement : une personne qui passe du rire aux larmes, qui ne se rappelle plus certaines choses… Le stress n’est pas dans la tête : c’est un processus physiologique, qui met le corps en mouvement pour répondre à un danger perçu et puise dans les ressources, générant des problématiques de santé à moyen et long terme.
Ces effets sur la personne impactent le collectif : tensions avec les collègues, ambiance de travail dégradée… C’est alors toute l’organisation qui est impactée, avec plus d’accidents du travail, d’arrêts de travail, de conflits. Et in fine, c’est la qualité du travail et du service public qui en est dégradée.
Comment prévenir ces risques ?
Depuis 2014, les employeurs ont l’obligation de mettre en place des actions de prévention. Pour cela, ils doivent, avec les agents, évaluer les facteurs de risque et de ressources pour les différents métiers, et mettre en place un plan de prévention adapté.
Ce duo facteurs de risque et ressources est au cœur de la prévention. Car l’idée n’est pas obligatoirement d’éliminer les facteurs de risque. En effet, certains sont inhérents à un métier : dans la Fonction publique hospitalière, par exemple, le fait d’être confronté à la souffrance des patients ne peut pas être éliminé. Cependant, on peut contrebalancer avec la mise en place de groupes de parole, le développement d’actions spécifiques… Et surtout, l’idée est de ne pas y ajouter d’autres facteurs comme une charge de travail forte, des consignes peu claires, une absence de collectif de travail, un manque de reconnaissance. C’est la multiplication de facteurs de risque qui engendre des situations de souffrance.
Observez-vous une augmentation de certains facteurs de risque ces dernières années ?
La première chose que j’observe, c’est une intensification de la charge de travail, pas toujours liée à l’augmentation du nombre de missions mais plutôt aux difficultés de recrutement ou au non-remplacement de certains postes. Cette intensification fait que certains facteurs de prévention disparaissent. Dans les hôpitaux par exemple, face au manque de personnel et la réduction du nombre de lits, les agents courent après le temps et ont moins de temps d’échanges, les cadres sont plus directifs parce qu’il faut aller vite… Et cela provoque une sensation de ne plus avoir de soutien ou de reconnaissance de la hiérarchie.
J’observe aussi une augmentation des violences de la part des usagers. Enfin, je constate une augmentation des situations où un agent a des pensées ou comportements suicidaires, voire passe à l’acte. Là aussi, nous sommes en train d’éditer des fiches à ce sujet. Et la formation de secouriste en santé mentale mise en place au niveau national et proposée dans la Fonction publique depuis 2022 est aussi, à mon sens, d’utilité publique : elle permet de comprendre les troubles de la santé mentale mais aussi de savoir comment aborder les personnes en crise.
Le contexte actuel (budgétaire, politique…) joue-t-il dans l’apparition des facteurs de risque ?
Je pense que l’incertitude et la baisse des moyens accentuent les risques. Comme le budget ne permet plus d’agir sur les ressources humaines, la nécessité de développer des facteurs de ressource devient plus essentielle que jamais.
Les employeurs ont l’obligation de mettre en place une démarche de prévention des RPS. Mais côté agents, que peuvent-il faire ?
Je leur dirais d’être attentifs à leur état. S’ils se sentent stressés, il leur faut prendre en compte cet état de stress et, dans un premier temps, se calmer et se décentrer. Dans notre fiche sur le stress , nous préconisons par exemple la cohérence cardiaque. Quand le niveau émotionnel est redescendu, ils peuvent travailler sur le cognitif, et se questionner sur la manière dont ils travaillent (formation, compétences, clarté des consignes, charge de travail) et sur ce qui engendre ce stress.
Il est aussi important d’informer sa hiérarchie. C’est essentiel, car les managers ne sont pas dans la tête de leurs agents : d’ailleurs, les derniers chiffres montrent que nombre d’entre eux sont aussi en détresse psychologique. L’idée est donc de leur parler des difficultés, de l’organisation du travail, en évitant d’être dans un registre émotionnel « agressif », et en étant force de proposition. Il existe par exemple l’outil RPS-DU de l’INRS qui permet de questionner l’organisation et les relations de travail. L’agent peut l’avoir prérempli, ou le suggérer à son manager.
Et si pour diverses raisons, l’agent ne se sent pas à l’aise d’informer sa hiérarchie, il peut en parler aux ressources humaines, à un collègue, ou aux services santé au travail : il y a des services santé dans les hôpitaux, et des services médecine préventives dans la Fonction publique d’État et la Fonction publique territoriale. Je le rappelle, car parfois les agents ne le savent pas : ils peuvent voir un médecin du travail sur simple demande, sans avoir à passer par les ressources humaines. Le fait de voir un médecin permet aussi d’avoir une traçabilité de son état de santé, si la situation se dégradait.
Une conclusion ?
De manière générale, je pense qu’il faut parler de santé mentale. Les troubles psychologiques, parce qu’ils ne se voient pas, on considère qu’ils sont faciles à éviter, que ce n’est que du verbal. De ce fait, la personne concernée a peur d’être jugée… Alors qu’il y a des outils qui permettent de les mesurer. Et dans le cas d’un burn-out par exemple, ce n’est pas une fragilité des personnes, comme on l’entend parfois : c’est vraiment le symptôme d’une organisation qui dysfonctionne.
Propos recueillis par Julie Desbiolles (Réseau Service Public)
Photo : © CDG68
Pour aller plus loin :
- Les RPS selon travail.gouv.fr
- Les outils du CDG68, en accès libre
- Test du burnout: questionnaire d’auto-évaluation de l’épuisement professionnel
- Santé et travail FP : La plateforme dédiée aux acteurs de la santé, de la prévention et de la qualité de vie au travail dans la Fonction publique
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