Le département de l’Isère et l’intelligence artificielle : une démarche collaborative
17 septembre 2025

Le département de l’Isère et l’intelligence artificielle : une démarche collaborative

Face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) générative, le département de l’Isère a choisi de ne pas subir mais d’accompagner et d’encadrer cette révolution technologique. Objectif : anticiper les impacts sur les métiers et les missions, poser un cadre éthique solide et inscrire l’IA dans une logique de service public durable. Séverine Battin, Directrice Générale des Services, revient sur cette démarche collaborative, pilotée par la Direction Générale.

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À quel moment le département de l’Isère s’est-il emparé de l’enjeu de l’IA, et pourquoi ?

Nous nous sommes réellement saisis de l’IA il y a deux ans, en novembre 2023, lors du Mois de l’innovation consacré à l’IA, animé par le laboratoire d’innovation interinstitutionnel de Grenoble porté par le département de l’Isère, la Ville, le Centre communal d’Action sociale de la Ville de Grenoble et Grenoble-Alpes Métropole.

Nous travaillons sur la prospective avec l’université Grenoble Alpes. Dans ce cadre, nous avons identifié dix grands défis à dix ans qui nourrissent notre projet d’administration. L’IA s’est imposée dans l’axe dédié à l’agilité de nos organisations du fait de nouvelles modalités de travail.

Nous avons réfléchi au niveau Direction générale, CODIR et avec le directeur de la Performance et de la Modernisation : l’enjeu était d’anticiper les impacts de l’IA sur nos métiers, notre organisation et notre rapport aux usagers.

L’IA était déjà présente : près de 50 000 saisines d’outils comme ChatGPT ou Mistral avaient été recensées, en un an, en interne. Il fallait donc associer largement les agents, comprendre leurs usages et poser des garde-fous éthiques. Nous souhaitions également rassurer les agents sur le fait que l’IA n’est pas une menace pour l’emploi, mais une opportunité d’évolution collective. D’où la co-construction d’une charte éthique avec 250 agents et qui a été votée par les élus.

Comment avez-vous choisi de vous emparer de l’IA ?

Nous avons volontairement écarté une approche purement technique. Notre démarche vise à associer les agents pour définir des usages pertinents et co-construire un cadre éthique clair, à les former, à être cohérent avec nos autres actions et à maîtriser la sécurité des données.

Concrètement, nous avons consulté les agents et les cadres intermédiaires de nos trente politiques publiques pour identifier les cas d’usages prioritaires et les précautions requises. L’IA peut, par exemple, analyser et synthétiser des données lors d’un appel d’offres, mais la décision finale doit rester humaine.

Nous avons fait le choix du partenariat avec le Multidisciplinary Institute in Artificial Intelligence (MIAI) de l’université Grenoble-Alpes pour la formation-acculturation des agents.

En parallèle, nous avons créé un logiciel, IRIS, notre « ChatGPT maison », développé en interne. Nous avons trois serveurs pour stocker toutes les données du Département de manière sécurisée, un principal et deux répliques.

Comment avez-vous articulé le déploiement de l’IA avec le développement durable ?

C’est sans doute l’un des enjeux les plus complexes. L’IA a un coût énergétique colossal, et la question d’une « IA frugale » reste aujourd’hui sans réponse. Lorsque j’ai interrogé les chercheurs, aucun n’a pu proposer de solution immédiate, si ce n’est la promesse de progrès techniques à venir. Un chiffre donne la mesure du problème : l’entraînement d’une seule petite brique* d’IA équivaut à la consommation annuelle d’électricité de 129 000 familles.

Face à cette réalité, nous avons intégré le déploiement de l’IA dans notre axe « numérique durable », avec notre approche basée sur les usages, en privilégiant ceux en cohérence avec nos objectifs environnementaux. Cela signifie par exemple mobiliser l’IA pour piloter la consommation énergétique de nos bâtiments, optimiser la gestion de l’eau ou encore réduire nos dépenses énergétiques globales.

Quels accompagnements sont nécessaires pour les agents ?

L’acculturation ne devait pas se limiter aux agents déjà familiers de l’IA. Les cadres ont été formés afin d’anticiper les évolutions et d’accompagner leurs équipes.

Ensuite, des dispositifs différenciés doivent être conçus selon les filières (techniques, sociales, administratives ou culturelles). Les agents des routes ou des collèges, par exemple, à priori plus éloignés de ces enjeux, ont besoin d’un accompagnement spécifique pour identifier des usages adaptés à leur métier.

Observez-vous déjà des impacts de l’IA sur le service public ?

Oui, notamment dans l’accélération du traitement des dossiers. À la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées, par exemple, qui instruit chaque année 120 000 demandes, l’IA permet de préparer plus rapidement les dossiers et de réduire les délais d’accès aux droits. Mais la vigilance reste de mise : les usagers doivent être informés lorsqu’une IA est utilisée.

L’IA ouvre aussi des perspectives concrètes pour les agents dans les modalités d’exercice de leur fonction et la qualité du service. En PMI, elle facilite la communication avec des familles grâce à la traduction automatisée. Dans la direction juridique, elle permet d’analyser plus rapidement les données d’un appel d’offres. Elle peut également automatiser certaines tâches répétitives, telles que la saisie de dossiers, libérant du temps pour la relation avec le public.

Pour autant, je suis convaincue que l’IA ne remplacera jamais les agents. Elle peut pallier un manque d’effectifs, mais pas substituer la main (le savoir-faire), le cœur, (la relation humaine et le soin), ni la tête (la réflexion conceptuelle). Ces dimensions resteront toujours des qualités et la valeur ajoutée de l’humain.

* Langage technique qui désigne une unité fonctionnelle élémentaire d’IA.

 

Propos recueillis par Séverine Bellina, Réseau Service public.

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